20 ans sans Ferré

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Un demi siècle de création désormais accessible, un déblayage salutaire.

Léo c’était hier, ou c’est demain, c’est à coup sur éternel, ses aboiements vertigineux contre l’époque en émoi nous parviennent de l’au delà vinylique ou sa voix, micro-sillonnée à jamais continue de séduire de nouvelles recrues dans les bataillons du spleen contemporain.

 

Puis « qu’il n’y a plus rien à glander today au club des métaphores »,comme le prophétisait déjà léo il y a plus de trente ans, alors que la variété française n’avait pas encore atteint cet affligeant degré de médiocrité syntaxique, les maisons de disques rivalisent d pour ressortir dans un ordre pensé et sous une forme élégante, ou la sophistication de l’emballage ne corrompt pas l’élégance du contenu tout les faits d’armes de léo ferré. A présent que l’hagiographie du père est respectueusement orchestrée par le fils, estampillant d’un reconnaissable logo (une belle écriture détaché,authentique paraphe du compositeur) chaque nouvelle parution de l’inépuisable carrière

De Ferré encore chevelu récitant avec Jean Gabin un opéra au titre opaque sur les ondes d’une radio monégasque (de sac et de corde) à léo, copain comme cochon (avant d’être cabot sur la scène de la mutu ou vieux corbeau qui court après sa corbotte dans une de ses chansons fleuve)

 

malgré la prolixité créatrice de Ferré, l’oeuvre, immense, aux innombrables facettes, avec ses  coups de génie et ses redites , En digipack rutilant ou la quête de l’emballage authentique est l’argument principal des concepteurs de nostalgie musicale, avec quelques raretés savamment exhumées pour motiver la dépense, ou doctement archivé par mots clés sur les sites patrimoniaux ou se démocratise la pêche au souvenirs des enfants fascinés par les grandes heures de l’ORTF : plus besoin de courir les brocantes à la recherche d’un 33 tours défiguré par les soirées fumettes du tonton Parisien,  l’oeuvre de Léo Ferré se trouve aujourd’hui à peu près partout et se décline  sous toutes les formes, et le voir filmé dans ses colères et ses chagrins est devenu un jeu d’enfant, contraint à tout nous dire sous les prunelles magnétiques de Denise Glazer ou cabotinant sur les fauteuils désign de Bernard Pivot dans le rôle du gentil librairie provincial pour parler de son unique roman, Ferré n’a jamais été aussi présent que depuis son départ,  la  technologie qu’il conspuait, les « compiuté » comme il disait avec une pointe de mépris dans la voix, lui rendent un service inattendue en mettant d’un seul clic à disposition d’un public multi-générationnel l’intégralité de son oeuvre (jusqu’aux morceaux depuis longtemps sujet de tout les fantasmes comme l’ode à une chanteuse morte) et la totalité de ses apparitions.

Du coup, les anciennes compilations Barclay, découpage arbitraire opérées dans l’oeuvre protéiforme du prolixe compositeur semblent désormais bien pâlottes face à l’immense exégèse orchestré par le fils de Léo sur un label conçu tout exprès pour valoriser l’oeuvre de son père. La glose augmente à mesure que le nombre de pièces encore à découvrir se raréfie, adaptation de poèmes Baudelairien, opéra oubliés, versions italiennes de ses standard français, pièces radiophoniques, recueils de poèmes, bande master inécoutable livré derechef à un chanteur aux yeux lagons tout désigné pour rattraper des partitions inachevées qui fonçaient tête baissée dans l’oubli (Verlaine, Rimbaud), la nasse se vide, pendant que les auditeurs frétillent dans un océan d’exhumation jubilatoire dont le revers de la médaille s’annoncera imminent; on courra bientôt le risque d’y patauger quand la dernière cassette trouvé sous une commode sera livré à nos oreilles, grossièrement fardé par quelques arrangement de circonstance pour venir grossir une discographie déjà très abondante.

Ferré est mort, les médias ne pourront plus l’inviter pour utiliser perversement sa présence afin de présenter sous l’angle le moins profitable sa personnalité rebelle. Son oeuvre unique parle pour lui, son caractère retors, difficilement médiatisable ne sera plus l’excuse rêvée pour éviter de fréquenter l’auberge lugubre de son gueuloir nocturne. Entre temps, les innovations sonores d’un Bashung ont conditionné un public à réceptionner sans préjugés les expérimentations musicales de son prédécesseur, hypothèse plausible quand on sait que l’Alsacien ténébreux avait toujours rêve d’atteindre la puissance verbale de Et Basta (en partie approchée dans « l’imprudence », l’avant dernier Opus de l’alsacien Spleenetique), il se vengea in extremis faute de souffle et de temps sur la reprise brouillonne mais émouvante de son frère en chuchotement, Gainsbourg, l’homme à tête de choux étant plus banquable que l’anar à face d’hibou.

Ferré nous quittait il y a 20 ans, venant assombrir les festivités nationales du bon peuple de France par son départ à 76 piges bien sonnées sous l’horloge Baudelairienne. La voix diminuée, le pas tremblant, amorçant une métamorphose le faisant de plus en plus ressembler au petit animal auquel il consacra une de ses plus belles chansons, acceptant trop facilement des hommages critiquables, s’affichant auprès d’héritiers contestables (Lalanne) ou se laissant inviter dans des Talks show mortifères dans lesquels sa présence était comme un collage dada au milieu d’un Vermeer (Christine bravo ou vidéo gag), l’homme avait déjà basculé de l’autre côté du miroir au moment où on commençait à tolérer qu’il fut le seul artiste à avoir su refléter toutes les contradictions de son époque (les spécialistes, quartier latin, les romantiques). 

La mort, Léo Ferré arpentant les rocailles de son domaine en s’appuyant sur un bâton tordu semblait l’attendre de pieds ferme depuis quelques années, louant la rigueur de son travail lorsqu’elle le débarrasserait des fâcheux, ennemis d’hier, tenancier pinailleurs des cabarets de la rive gauche ou frères des écoles chrétiennes aux mœurs plus que douteuse. La mort, ça n’est que par les mots de Caussimon qu’il osa venir la taquiner, ironie du sort, né avant Brel et Brassens et prématurément vieilli d’apparence, c’est lui qui leur survivra plus de quinze ans, faisant poiroter plus qu’il n’est raisonnable, la grande faucheuse.

En 1993, c’est dans une Mitterrandie s’achevant dans la disgrâce des alliances contrefaites et des bilans médicaux bidonnés que l’antimilitariste réputé passera l’arme à gauche dans la toscane chérie ou le poète rugissant avait enfin trouvé la quiétude, au beau milieu de ses champs d’oliviers, sa graine d’ananar planté en terre amie ayant fait germer une famille qui veillait tendrement sur sa crinière de le lion épuisé par 45 années de création ininterrompue.

Vingt ans avant sa disparition, après les deux superbes albums Amour Anarchie, réservoir de composition éclatantes ou Ferré règle ses comptes avec les femmes cruelles, les gamines aux troublant appâts et les pavés printaniers d’une France entravée par le képi du général, le chanteur inaugurait les  monologues hallucinées qui le rendirent célèbres au début des années 70, happant dans ses filets les gamins lassés par les pédantesques boursouflures de l’amateur d’art qui squatte à l’Elysée,détruisant ça et là quelques morceaux de la capitale. A l’écoute des bidouillages savant de la pop anglaise et des sophistications de la musique progressive, mâtinant son jeunisme réfléchi d’orchestrations fouillées,   Ferré expérimentera dans le disque qui ouvre la décade de tout les excès musicaux ces étranges morceaux semi-parlés où la mort de pépé, la déchéance de son couple et la naissance de son fils formeront les thématiques privilégiées de ce nouveau départ.

Et basta, ou deux faces de galettes sont réquisitionnées sans crier gare pour faire le bilan d’une carrière exceptionnelle d’inventivité dans le petit monde de la grande chanson Française sort en 1973, deux chansons, trois musiciens dont Paco Ibanez venu prêter main forte avec ses accords hispanisant sur ni dieu ni maître et la France de la crise émergente et des cadences infernales en prends pour son grade. Pourtant, ce regard en arrière, nécessaire pour régler ses comptes n’est pas un bilan, juste une halte, ferré enregistrera après cette magnifique biographie psalmodiée en plein Pompidolisme, plus d’une vingtaine d’albums tous très inspirés (si l’on retire du lot les égarements sonores de la Frime ou d’il est midi ici et minuit à new york).    

de Et Basta à Une saison en enfer

« Et Basta » ou un Ferré tout en écho remonte le flot tourmenté de ses souvenirs,  et d’une peine qui ne tarit pas lorsque dans une goulée de souvenance,  les  années rive gauche ou l’homme a du essuyer de nombreux échecs, des propriétaires verreux aux cachets misérables avant d’atteindre la consécration viennent remuer sa carcasse de lourds ressentiment dans le silence de sa retraite italienne . Par un effet savant ou sa voix semble surgir du néant, dans une brume sonore épaissie par le chuintement d’un vent glacé qui transit l’âme et fait transiter les mélodrames apparaissent les premières notes d’un piano qui ouvre les hostilités, découvre par la même du personnage toutes les aspérités.

1973, 1993…2013

qu’en est il aujourd’hui ? Et son public, toujours aussi discret, et ses détracteurs, toujours aussi tristement prévisibles dans leurs critiques : braillard, répétitif, verbeux, abstrait, hermétique…Cherchez l’antonyme de tous ces adjectifs et vous saurez globalement qui était le personnage et ce que vaut son oeuvre, indispensable pour comprendre ce que le génie de la langue de voltaire et le talent des arrangements de l’école Viennoise peut donner quand on l’entremêle avec hardiesse. Ferré est indispensable, autrement dit, il est impensable de se dispenser de Ferré.

Bien que l’homme fut fréquemment repris par de talentueux interprètes, souvent proches de la soixantaine, qui font perdurer la légende dans des versions qu’ils n’osent à peine modifier, Philippe Léotard ou Bernard Lavilliers en tête, l’un rocailleux, l’autre plus emphatique  en sont de bons exemples.

Hommage absent pour un public bien réel

Pour cette année encore, je ne me fais pas d’illusions, l’artiste sera comme ce fut déjà le cas il y a dix ans privés d’hommage radiophonique, ou de clin d’œil télévisuel alors que son  public ne cesse de s’étendre, son audience de se renouveler. Loin de trouver obscènes ses envolées verbales et harassant ses monologues hallucinées, des mômes qui n’étaient pas nés quand Léo fit tomber la cendre de sa dernière Celtic ont compris qu’il n’ y avait pas plus émouvante façon d’être pudique que de déballer avec rage et désespoir ses souffrances et ses exaltations, surtout quand les arrangements les plus somptueux sont mis au service d’un verbe aussi divinement travaillé.

léo contre les médias, la guerre des mondes

Les moins de trente ans qui, jamais par hasard, ont subi de plein fouet le choc ferré, la collision de son verbe surréaliste avec leur candeur perdue d’enfant cybernétique, au carrefour d’une époque trop épique pour tolérer les vraies coup de gueule ne subiront pas la perverse influence des médias ambiguës qui des années 60 aux années 90 tout en invitant fréquemment le chanteur à venir s’exprimer firent en sorte, de manière savamment détourné, de corrompre son message, en le faisant méthodiquement sortir de ses gonds ou rentrer dans les confinements de sa forteresse émotionnelle. C’est là tout le paradoxe de notre époque, elle est peut être la meilleure pour comprendre celui qui l’aurait le plus détesté.

Ainsi,aussi étrange que cela paraisse, Ferré est sous nos latitudes tout autant respecté qu’il est craint, et très souvent, trop souvent tourné en ridicule à cause de ses  prises de positions, cet homme qui jouait le viril avec sa poitrine débraillée, invectivant le public cossu des champs Elysées  tapant du poing pour effrayer jean pierre chabrol, pourtant habitué à ses caprices, faisant taire des rockeurs excités pendant qu’il bat la mesure de la cinquième symphonie  ou ému aux larmes par le témoignage d’un navigateur célèbre qui dit admirer son oeuvre, Ferré chantre du paradoxe n’a jamais aussi bien chanté la fragilité de l’homme, et la puissance mystificatrice de l’éternel féminin dans des chansons que l’on cru misogyne ou par des positions dans lesquels on perçu trop rapidement un côté phallocrate. Le style des femmes c’est leur cœur  nous dit dans La solitude encore faut il patienter plus de cinq minutes pour l’apprendre, les auditeurs empressées que nous sommes en seront ils capables? 

A chacun son Ferré

A défaut de savoir par quelle période commencer, les années odéon, chant du monde, barclay, cbs, il est préférable de se dire que tout peut faire  office d’examen de passage quand on aborde un tel continent, une déception amoureuse, un divorce foireux, un deuil inguérissable. Une chose est sure, pour y être initié, on se passera volontiers des animateurs compassés qui écorchent son nom, réclament toujours les mêmes standards ou ricane face au prompteur en visionnant d’un œil distrait cet homme aux clignement nerveux et au cheveux rebelle. Les petits bourgeois au trajectoire uniforme et aux conquêtes faciles n’y comprendront jamais rien, les intellos précaires tendant leur liasse de diplômes dans les pôles emplois de banlieue trouveront là le plus beau confessionnal à leur angoisse de vivre,  les autres se fiant vaguement à sa façon de dialoguer, considéreront dans la hâte que Ferré ne fut que la version brouillonne et mal dégrossie des cadences syncopées  des chanteurs de banlieues d’aujourd’hui. En quoi, Ils se trompent. Les rappeurs institutionnalisés se réclament plus volontiers de Brel ou de Gainsbourg (le premier pour la colère, le second pour la provocation désinvolte) que de Léo Ferré, modèle trop écrasant, géniteur d’une production musicale qu’ils ont trop de difficulté à circonscrire, ayant emprunté trop de formes successives au cours des années.

Un notoriété à double tranchant

Ferré mieux vaut n’en rien dire qu’en mal parler, l’écouter rapidement ou le visionner mal,  je vois déjà le tableau qu’on nous peindra sur le châssis des ondes chassieuses , quand viendra le mois de Juillet,  on ressortira ces deux succès publiques qui n’ont jamais vraiment quitté les ondes, des rapprochements hâtifs avec de piètres épigones seront comme à l’accoutumé opérés, des duos crétins, des reprises bancales, sans souffle, sans rages, sans larmes, des témoignages prévisibles avec des louanges inadaptés à l’humilité lumineuse de celui, qui refusa toute sa vie de recevoir une décoration officielle. « Sur la scène, y a que dalle avec quelque chanson » disait il en 1970 quand sa notoriété soudainement acquise auprès des enfants de mai, en plein Pompidolisme le faisait autant jubiler que frémir, ne pouvant bidonner un accident de moto dylanesque, il prendra la poudre d’escampette en allant en toscane pour éviter les fâcheux, les barclays coupeurs de vivre et censeur de studio.  Qu’importe, au milieu des années 70, valeur sure et bon vendeur,  il est complètement indépendant, gagnant sur tous les tableaux, ses concerts font salle comble, reconnu par ses pairs, interprétées par ses petites soeurs, Catherine Ribero ou Mama Bea reprendront ses standards, les italiens le déifient, et Chancel lui fait un pont d’or pour qu’il vienne donner le meilleur de lui-même dans le grand échiquier comme en témoigne le duo magnifique qu’il y forme avec ivry gitlis sur « Les étrangers »,  personnellement, je trouve à pleurer la tape amicale dont ferré avant de commencer à chanter honore le talentueux violoniste en plein accordage.

Ferré muet, interdit de salle, de studio, d’orchestre, critiqué, jalousé, si influent, mais tellement peu évoqué dans les confluents desséchées de la chanson française,  ferré que la grotesque Claude Sarraute, qui lui consacra pourtant un si beau papier lors de son récital à Bobino (repris sur la pochette), dézingue bêtement dans les émissions d’un Ruquier blagueur ou que Christine Bravo a cru ridiculiser en le confrontant à un rapper censé symboliser l’avenir de la chanson Française (et qu’on a bien oublié depuis) bien obligé de ravaler sa morgue quand  Ferré lui dégainant des vers de Rimbaud sorti de sa poche, le fat décontenancé par la sagesse du doyen n’a plus qu’à réajuster discrêtement sa casquette à visière.

Un vrai public et de faux héritiers

Ferré désormais insensible à toutes ces offenses, digéra deux siècles de musique classique (bach, beethoven, ravel, debussy) en sachant accoupler l’inventivité de la poésie surréaliste à la maîtrise formelle des grands cabaretiers  du chat noir tel un jehan rictus  égaré chez les nains ou un génial Richepin égaré chez les puces. S’il ne fut pas à l’aise dans son siècle, qu’aurait il dit du nôtre ?

Cet an 10 000 dont Ferré prophétisait la noirceur, c’est peut être aujourd’hui, les amants n’ont jamais été aussi tristes que depuis qu’il leur est possible de faire des virements de sentiments abstraits sur les réseaux sociaux, et ces gens qu’on tient en laisse, au shopping, au bordel, à la messe du 20 h devrais je dire pour paraphraser la magnifique invective du chavirant morceau « Words Words Words », ou Ferré en reprenant le constat shakespearien de la vanité humaine (ne plus écrire enfin) qui par cons et par mots noie dans son babil permanent le peu de termes choisis qui pourraient donner du sens à la vie humaine, condense  40 années d’accusation du pouvoir en place et de bêtise en poste portant à la boutonnière le culte ambiguë d’un public qui si il s’accorde aujourd’hui à reconnaître en lui un des maîtres de la chanson Française ne fut pas toujours aussi promptement accordée à sa cause .

Ces mots plus que jamais, sa façon unique qu’il avait de les agencer n’a jamais trouvé de véritables héritiers, reggiani bien que fort talentueux n’est qu’un très grand acteur mettant au service de chansons écrit par d’autres sa dramaturgie personnelle, Gainsbourg, une girouette inspiré à l’affût des tendances  musicales fédératrice, mêlant habilement paillardise et décadentisme fin de siècle sur des sonorités de circonstances, et Bashung bien que fort attachant, un bricoleur de génie, fabricant de climat saisissant qui aura surtout la fortune de repenser son style après la mort de serge et dans une atonie créatrice hexagonale encore tout inhibé par le choc traumatique consécutif à la mort du fumeur de gitane.

Léo, bête à part

Ferré donc se place à part, il aime jouer mais n’a guère d’appétence pour le pathos grandiloquent de l’éconduit perpétuel que le grand Brel surjoue jusqu’à saturation, il a l’accolade à portée d’âme mais ne sacrifierait pour rien au monde sa sacro-sainte solitude pour une partie de belote ou une bouffarde en bruyère sur le zinc des à propos limité ou un brassens règne en gourroux bourru, trop amical pour être honnête. Ferré ne pardonnera jamais à l’auteur de l’auvergnat de n’avoir pas tenu sa promesse concernant un récital à trois voix envisagé avec l’abbé Brel, si léo respectait leur travail,force est de constater qu’eux se méfiaient du sien auquel il ne comprenait sans doute pas grand chose, mais la mythologie a pris, le temps d’une photo de jean pierre leloir pour europe numéro un et c’est sympa d’y croire.

c’est donc plutôt vers des compagnons de lutte, moins connu du grand public, mais toujours fidèle au poste, pour bouffer avec lui la vache enragée des papiers revanchards ou des cabales journalistiques que léo la tendresse se tournera, tel  richard marsan ou Maurice Frot, l’auteur du roi des rats, un roman gallimard un chouilla célinien que Ferré préfacera. Pour le reste, il conversera serré avec sa ménagerie ambulante, guenons capricieuses, clébars fidèles ou hibou ramassé au bord de la route par temps d’orage.

Ferré à l’heure de la star académie 

Qu’aurais dit Ferré de ces mômes jubilant de se virtualiser quotidiennement le cœur sur la toile à la recherche d’un nirvana de pixels? Sans pitié pour la futilité lexicale de la génération YéYé, cet amateur de Bartok ou Ravel aurait il éructé de colère ou suinter du regard, lui que la question de la pureté perdue bouleversant tant (les fauteuils d’orchestre n’ont pas de mémoire disait il dans il n’ y a plus rien) , qui grand pudique derrière ses postillons de rage et ses clignements nerveux, qui savent encore se ressourcer dans la vraie solitude, cette cavale de la nuit où les artistes  « loin du propos commun » savent reconstituer  un monde à leur incalculable échelle. Son rôle de passeur, les chauffeurs de taxi pouvant fredonner du François Villon avec autant de candeur que dans le sketch bien senti de Jean Yanne, Ferré en était fier et la distance un peu altière qu’Aragon pouvait bien lui témoigner (probablement pour des raisons idéologiques, Ferré n’ayant jamais hésité à critiquer sévèrement le parti communiste), la brusque volte face que Breton lui opposera en refusant soudainement de rédiger comme il le lui avait promis la préface de son premier recueil de poèmes « Poètes vos papiers », ne seront plus que des mauvais souvenirs. Ferré écrira la sienne pour classer le dossier d’une poésie française depuis longtemps rentré dans le sérail des académies, ne lui accordant que le privilège de la distinction à défaut d’inspiration.

Comment survoler 45 années de création ininterrompue sans tanguer dans la nacelle? Chacun aborde à sa façon le continent Ferré, prescrire un mode d’emploi serait aussi futile que d’obliger à y entrer avec un manuel de survie , qui aime Ferré ne manquera plus jamais d’air dans ce bas monde, il aura sa chanson, sa période favorite, son choc initiale, ou puiser goulûment dans les moments de spleen ou de mélancolie. Coup de blues ou coup de grisou, explosif ou mélancolique, ferré nous mène à la lumière avec ses accolades ou sa tendresse non feinte (tu comprends?) ou nous enjoint de descendre dans les abîmes de l’âme pour voir comment la saleté peut copiner noblement avec la douceur.

Variations sur un même t’aime

Il  y a mille périodes dans son évolution créatrice, de multiples changements de voix, de façon de proposer son dire, doux, chuchotant  hâbleur  rieur, braillard, hagard, réconcilié peut être, quand il joue la carte attendrissante du ressouvenir (les vieux copains) ou de la quiétude enfin atteinte comme un port salutaire dans les bras de marie l’enveloppante, arrangeons nous avec ça si on peut.  Des copains de la Neuille aux Vieux copains en passant par Richard, trois façons de chanter l’amitié masculine, de cette blessure, à ton style en passant par tu penses à quoi,, trois autres toutes aussi magistrales de louer le corps féminin, puits de mystère au dessus duquel il saura comme nulle autre se pencher,  exemples glanés au hasard pour vous convaincre qu’un artiste de cette envergure  ne peut se laisser raisonnablement enfermer dans les stéréotypes.

Ton style, c’est ton verbe

Des entrelacs raffinées ou la rime fornique allègrement avec la rythmique, la dentelle verbale avec la toile de jute d’un argot oublié, les compositions des années odéon laissera place aux énumérations Withmanienne de la décennie 70 la mélancolie, le bonheur, l’enfance, un mot et voilà que ferré déploie son éventail de solutions oniriques, déroulant le fil de son imagination pour un collier de métaphores d’une beauté désarmantes.

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